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Quand l'analyse d'un litige de voisinage permet de sortir du silence et de la défiance les habitants d'un hameau

Nous sommes appelés pour une intervention dans un hameau, regroupant une vingtaine de maisons, où les relations sont abîmées depuis longtemps entre plusieurs personnes. Avec le confinement, la situation est devenue invivable : l'intervention doit avoir lieu dès que possible. La raison de notre présence nous est présentée comme un conflit bipartite opposant d'un côté cinq membres d'une indivision immobilière, et de l'autre, un couple.

L'objet du conflit bipartite est le statut du terrain central du hameau, propriété privée du couple selon le cadastre, et dont des membres de l'indivision revendiquent la collectivisation. Le premier jour, l'assemblée qui nous accueille est composée de ces deux parties prenantes. Le lendemain, d'autres habitants du hameau sont invités. Leurs apports permettent de prendre de la distance, de mettre à jour les dynamiques de conflits antérieurs : le conflit autour du terrain central apparait alors comme une occurrence parmi d'autres d'un phénomène récurrent d'exclusion ou de mise en retrait, selon le point de vue.

L'installation dans le hameau a été initiée par le désir d'une personne de regrouper plusieurs familles sur un projet écologique, de partage de communs et d'ouverture vers l'extérieur, concrètement : assainissement, potager, accueil, évènements culturels. Au fil des mois ou des années, pour différentes raisons, plusieurs habitants se sont éloignés de ce projet, chaque fois heurtés par les manières de "faire collectif" du groupe de l'indivision, parfois happés par la vie familiale (enfants en bas age) ou concentrés sur le développement de leur activité professionnelle, ...

Les réunions de l'ensemble des habitants du hameau ont fini par se confondre avec les réunions des membres de l'indivision, les plus investis dans la dimension collective du hameau, et aussi les propriétaires des terres agricoles de ce hameau. Ils et elles deviennent dépositaires de l'ambition initiale du projet, accumulent des rancœurs à donner sans recevoir en retour, et cultivent une forme de mépris envers ceux de leurs voisins qui auraient abandonnés l'idéal pour un repli sur le modèle de la famille traditionnelle.

Face à la grandeur du projet initial, le sentiment d'échec se cristallise sur le terrain central, porteur de la dimension symbolique de place du village. C'est dans ce contexte de manque de confiance, de croyances des uns sur les autres, que le conflit autour du terrain central s'est envenimé. Les désaccords et les rancœurs sont aggravés par des menaces, des violences verbales ou écrites, de longs silences punitifs. Avec le confinement, il devient invivable d'avoir des voisins avec qui on n'échange plus un mot, à peine quelques regards chargés d'animosité.

Aux yeux de tous, il apparaît que l'origine de ces dynamiques de conflits est interne au groupe propriétaire de l'indivision : le débordement des dysfonctionnements internes de ce groupe moteur du hameau exclue de la vie collective les autres habitants du hameau. L'unité de l'indivision est fragile, au delà de la cohésion idéologique et affective, elle tient sur la nécessité de faire face ensemble à la précarité. Dans cette promiscuité-intimité, chacun s'octroie des espaces de fuite.

Les membres de l'indivision attendaient de nous un arbitrage en leur faveur sur les usages du terrain, notre intervention aura permis une prise de conscience de leurs dynamiques internes. Si cette intervention a été utilisée par l'assemblée comme un espace de négociation là où la communication était totalement rompue, elle a surtout permis de ré-ouvrir la possibilité du dialogue entre les habitants du hameau et les membres de l'indivision, au sens propre du terme, c'est-à-dire sortir du silence installé parfois depuis plusieurs années entre certaines personnes. Cette intervention s'est terminée sur une fête, ce qui était impensable la veille encore.