Confidentialité et anonymisation

Le format court des récits présentés ici ne permet pas de rendre compte de la complexité de la situation, ou de l’ensemble des dimensions abordées pendant notre intervention. Ces récits sont destinés à illustrer concrètement ce qu’une assemblée peut produire pour elle-même pendant une socianalyse.

Chacune de nos interventions donne lieu à des travaux post-intervention : une monographie - un exposé écrit le plus complet possible des analyses produites par l'assemblée et du cheminement de l'intervention, à une intervision ou une supervision - une élaboration par les pairs ou des personnes-ressources à partir des difficultés exposées par l'équipe d'intervenant à propos de sa conduite. Ce travail nécessite une anonymisation préalable de la matière de travail que constitue nos interventions. En effet, y compris au sein du réseau des praticiens de la socianalyse, nous garantissons la confidentialité sur l'identité des organisations et des personnes au service desquelles nous sommes intervenus.

Les interventions relatées ci dessous ont étés conduites par des équipes composées de membres de La Boîte Noire et d'autres socianalystes du réseau franco-belge.

Seules les personnes ayant vécu une intervention pourraient se reconnaître dans ces récits.

 Sommaire

001 - Quand la confrontation cède le pas à la coopération dans un réseau associatif.

002 - Quand un service d’accueil de toxicomanes à l’hôpital se ressoude derrière sa directrice, délégitimée jusqu’ici.

003 - Quand une entreprise de réinsertion par le travail se réorganise autour du retrait de son directeur.

004 - Quand un consortium d’innovation sociale en recherche-action renonce à des financements de poste pour mieux se développer.

005 - Quand la direction d'une maison de jeunes détend les relations entre ses différents pôles.

006 - Quand la réconciliation des visions stratégiques et politique dynamise l’équipe d’une salle de concert.

007 - Quand un restaurant associatif affronte le départ de la fondatrice.

008 - Vivre en habitat groupé quand : l’utopie politique s’écorne au contact de la réalité.

009 - Quand un lieu d’accueil de personnes handicapées clarifie l’autonomie des postes et nettoie les affects.

010 - Quand l'éclairage des zones de pouvoir dans une association d’accompagnement familial amène de nouvelles actions.

011 - Quand l'analyse d'un litige de voisinage permet de sortir du silence et de la défiance les habitants d'un hameau.

012 - Quand un lieu de vie analyse la tension entre son mythe fondateur et ses dispositifs de financement pour se libérer des deux.

013 - Quand un habitat groupé s'autorise à ne plus faire collectif pour retrouver de la fluidité.

014 - Quand les permanents et les bénévoles font table rase pour partager les responsabilités.

015 - Quand une ferme urbaine exclue un bénévole pour renouer avec ses ambitions fondatrices. 

016 - Quand l'aveu des peurs individuelles permet de dépasser l'inertie dans un collectif d'achat immobilier

 

001

Quand la confrontation cède le pas à la coopération dans un réseau associatif

001 est une association d'envergure nationale, renommée tant pour son objet social que pour son mode de gouvernance, elle attire de nombreux bénévoles et compte une vingtaine de salariés. Depuis quelques mois, un tiers des salariés a démissionné. Les explications en interne sont diverses : de l'ordinaire turn-over aux tensions interpersonnelles, et jusqu'à de profonds désaccords sur la gouvernance. Le bureau cherche un intervenant suffisamment éloigné de l'association pour oser toutes les remises en questions. Parmi les dossiers présentés, la socianalyse se distingue par la simplicité des conditions de l'intervention et l'absence de méthodes établies à l'avance. 


L'assemblée est composée de trois représentants du bureau et des salariés, y compris, à notre demande, les salariés démissionnaires, les raisons de leurs départs respectifs étant, a priori, des éléments essentiels à la compréhension de la crise que traverse l'association. 

L'intervention met en évidence une crispation entre deux visions de la mission, complémentaires en théorie, mais qui se confrontent quand il s'agit d'allouer des ressources. Pour certains, dont beaucoup de démissionnaires, les salariés sont au service des projets qui émergent des groupes locaux de bénévoles. En face, d'autres défendent l'intérêt de développer des projets ambitieux, exemplaires, à l'échelon national, qui nécessitent l'implication de tous les salariés, des levées de fonds, et sur le terrain la mise au pas des bénévoles, au service de ces projets. Ces projets vitrines sont ceux qui attirent les bénévoles, sur le terrain il s'avère décevant pour eux de n'être que les petites mains de ces projets, portés par les salariés, à l'échelon national.

Aux prises avec une croissance rapide de l'activité, le mode de gouvernance ne parvient pas à maintenir l'équilibre entre ces visions. La technicité des outils de gouvernance n'est pas maitrisée aussi bien par tous et les plus aguerris monopolisent les débats. Dans l'urgence, une logique de confrontation, avec son cortège de manœuvres et jeux d'influence, a pris le pas sur la coopération, pourtant une valeur fondatrice de l'association. Les démissionnaires partagent un sentiment d'impuissance, qui les a poussé au départ. 

Pour réduire la pression et renforcer la logique de coopération, il est décidé de réduire le volume d'activité, de rétablir l'équité vis à vis du mode de gouvernance. En les nommant, l'assemblée a pu mettre un terme aux logiques de confrontation. Suite à cette première intervention, l'assemblée nous confiera la conduite de quatre journées de travail pour revisiter les fondamentaux de l'organisation. La nouvelle équipe trouve une organisation du travail assainie, les tensions entre les visions sont apaisées et la dynamique de coopération est rétablie.

 

002

Quand un service d’accueil de toxicomanes à l’hôpital se ressoude derrière sa directrice, délégitimée jusqu’ici

Un service d'accueil de jour pour des personnes toxicomanes au sein d'un hôpital est bloqué par un conflit entre une salariée et la cheffe du service. Nous intervenons auprès d'une assemblée qui réunit les salariés, dont la cheffe de service, un délégué du bureau et la directrice du service, qui est aussi co-directrice de l’hôpital et prochainement retraitée.

Derrière le conflit interpersonnel, l'analyse révèle un flou délétère sur le poste de cheffe de service, qui est occupé par une personne qui faisait partie de l'équipe. La création de ce poste ne s'est pas accompagné d'une autonomisation vis à vis de la directrice, qui dirige plusieurs services au sein de l’hôpital, dont celui-ci qu'elle a fondé. Il apparaît que la directrice garde la main et que la cheffe de service est cantonnée au rôle de relais, ou de paravent. Par ailleurs, elle a gardé un rôle sur le terrain aux côtés de l'équipe. Depuis 18 mois, les salariés s'adressent directement à la directrice.
Pendant l'intervention, l'équipe salariée et la cheffe de service examinent des propositions en tous sens, pour redéfinir, voire supprimer, ce poste intermédiaire. En parallèle, la directrice voit qu'en comblant les failles et en s'assurant en direct du bon fonctionnement des services, elle occupe la place de la cheffe de service. 

Plutôt que de focaliser sur le conflit interpersonnel, le travail d'analyse effectué a mis fin aux conditions de son émergence. Les fonctions des cheffe de service et directrice sont clarifiées, à la satisfaction de l'équipe, qui peut légitimer la cheffe de service dans ses fonctions. Le service gagne en autonomie vis à vis de la directrice, qui peut désormais préparer son départ à la retraite dans de bonnes conditions.

 

003

Quand une entreprise de réinsertion par le travail se réorganise autour du retrait de son directeur

Le directeur appelle un coach pour l'aider à basculer en entreprise libérée, une organisation de travail basée sur la confiance plutôt que le contrôle. Le coach recommande d'impliquer l'ensemble du personnel dans cette transformation. Il prescrit au directeur une socianalyse et fait appel à nous. Le directeur accepte notre dispositif : suspension de l'activité pendant trois jours, assemblée plénière de tout le personnel.

Le personnel se divise entre les bureaux, les camions de collecte et le hangar de tri. Une grande partie des ouvriers sont en contrats de réinsertion. Une évidence s'impose : passer en entreprise libérée nécessite l'adhésion de l'ensemble du personnel. Si les cadres ont plein d'idées et seraient prêts à jouer le jeu, la plupart des ouvriers ne sont pas demandeurs de l'entreprise libérée, mais voudraient plus de clarté dans la hiérarchie, voire un management plus ferme. 

L'analyse révèle que c'est le directeur qui a besoin de se libérer. En 4 ans, l'entreprise a grandi très vite pour atteindre quarante à cinquante personnes, or il a d'autres projets. Le directeur va travailler seul sur une proposition pour diminuer sa charge de travail. Pendant ce temps-là, le personnel a pour tâche de réorganiser le travail en tenant compte des idées qui ont été échangées depuis le premier jour.  

Dans l'après midi, le directeur s'adresse au personnel pour déléguer les taches dont il se décharge. A leur tour, les travailleurs présentent les propositions validées entre eux le matin, du rangement des gants aux horaires de travail. Le directeur va alors négocier ces propositions l'une après l'autre.

 

004

Quand un consortium d’innovation sociale en recherche-action renonce à des financements de poste pour mieux se développer

Le coordinateur d'un projet d'innovation sociale fait une demande de formation pour son équipe autour de la communication non violente et des outils de gouvernance partagée et d'intelligence collective. Au cours d'un premier entretien, il fait part de ses difficultés à assurer la coordination de l'équipe. Nous proposons une intervention socianalytique, qu'il accepte rapidement.

Le projet consiste en un atelier d'artisanat destiné aux habitants du quartier, avec des matériaux de récupération locale. Le financement, public, est réparti vers trois organisations partenaires qui mettent leurs salariés à disposition pour le projet. Au sein de l'équipe, se côtoient des artisans expérimentés, des chercheurs universitaires, des animateurs socio-culturels et des professionnels de l'économie sociale et solidaire. 

La viabilité économique du projet est en tension avec sa dimension sociale. L'implication des habitants du quartier n'est pas immédiate. Elle demande beaucoup d'énergie et les retours sur investissement ne sont pas financiers.

L'analyse révèle que le poste de coordinateur n'est pas financé à hauteur de ce qui était prévu. Son employeur ne lui permet pas un temps de présence suffisant pour coordonner l'équipe. Les demandes de l'équipe du projet ne rencontrent pas la volonté de l'organisation employeur du coordinateur. 

Notre intervention aura permis à ce partenaire de se retirer du projet, et à l'équipe de prendre le temps de s'organiser de manière ouvertement autonome, en articulant de manière plus explicite les enjeux de viabilité économique et d'ancrage dans le quartier. 

 

005

Quand la direction d'une maison de jeunes détendra les relations entre ses différents pôles

Nous sommes appelés pour des dysfonctionnements au sein de l'équipe salariée d'un espace jeunesse. Trois séminaires, de deux jours chacun, d'analyse des pratiques sont programmés sur les six mois à venir. La veille de la première intervention, une confrontation violente entre jeunes a mis fin à une activité dans le lieu. 

Privilégiant le réel et l'urgence sur le programme, nous proposons de travailler cette situation concrète. L'équipe ne parvient pas à définir une réponse collective à cet incident. Si la présence des jeunes dans le séminaire semble contre-intuitive, elle s'avère nécessaire pour analyser la situation et définir une réponse. Ils sont invités sur le champ pour l'après-midi même. Ils répondent nombreux à l'appel, et la séance de l'après-midi redistribuera les places et les rôles au sein de cette assemblée.

Le séminaire suivant révélera une tension entre les deux pôles d'activités de la structure : un accueil des jeunes du quartier, fondé sur les valeurs de l'éducation populaire, et un studio d'enregistrement visant des musiciens semi-professionnels sur un plus grand territoire. L'analyse de cette tension  met à jour la confrontation de deux visions de l'activité  : une vision idéologique refusant la séparation de ces deux pôles dans la gestion de la structure et une vision pragmatique la réclamant. Cette confrontation qui se rejoue dans chaque petite décision bloque le fonctionnement de cette équipe.

La directrice, portant la vision pragmatique et en poste depuis un an, ne trouve pas sa place. La salariée fondatrice, portant la vision idéologique, n'accepte pas l'évolution de fait de la structure. Notre intervention autorisera la salariée-fondatrice à partir et permettra à l'équipe de basculer dans un nouveau mode de direction, fondée tout à la fois sur une séparation de ces deux pôles et la formalisation de nombreux liens les unissant au sein de la même entité.

 

006

Quand la réconciliation des visions stratégiques et politiques comme condition de survie d'une salle de concert

        L'équipe salariée d'une salle de concert n'est plus capable de fonctionner collectivement, et ne comprend pas les causes de cette situation, qui s'aggrave au fil des mois. Elle commande un accompagnement à des formateurs en gouvernance partagée. Ces derniers proposent de les former à l'organisation agile, au rythme d'une journée par mois pendant dix mois. Après six mois, ils font appel à nous pour prendre le relais. Nous demandons trois jours consécutifs. 

        L'équipe salariée analyse pendant ces trois jours son fonctionnement et ses dysfonctionnements. L'enquête sera longue pour que se dévoile ce qui bloque. Les non-dits sont nombreux tout comme les évitements. Huit ans auparavant, le fondateur a laissé la place à une co-direction qui s'est, au fil des ans, réparti les dossiers en connivence, au point de n'avoir plus besoin de se parler. Les réunions d'équipe ont eu cours de moins en moins souvent, la direction de la structure s'est étiolée, des groupes de salariés se sont formés autour d'un directeur ou de l'autre et la communication entre certains salariés est également devenue difficile.

        Notre troisième journée d'intervention permettra à cette co-direction de présenter à deux voix devant son équipe le fonctionnement et les orientations de la structure, et à l'équipe de redéfinir les périmètres des postes de chacun, finalement soulagée d'une direction commune redonnant un sens à leur travail. 

 

007

Quand la transmission d'un bar-restaurant associatif nécessite d'affronter le départ de la fondatrice

Le bureau d'un bar-restaurant associatif demande une intervention pour renforcer la participation des bénévoles, formaliser un modèle de gouvernance partagée, accueillir la coordinatrice récemment engagée, ré-affirmer la nature du projet avant le prochain départ de la fondatrice.

De manière surprenante, l'analyse révèle un projet bien affirmé et très exigeant ; un arsenal de procédures de travail existant ; de nombreuses instances de décision et une sur-implication de nombreux bénévoles - certains sont proches de l'épuisement, d'autres sont déjà partis. 

La dimension politique du projet se déploie dans les activités d'animation et de restauration, l'alimentation de transition. Le bar incarne la dimension affective de cette aventure et suscite une autre forme d'engagement des bénévoles. Les tensions sont exacerbées par la professionnalisation et l'augmentation du volume d'activités.

Derrière les nombreuses instances et procédures, la fondatrice tient à bout de bras l'ambition du projet, l'engagement « sans limites » d'un noyau dur servant d'étalon au niveau d'implication attendu de la part de nouveaux bénévoles. Le départ de la fondatrice nécessite que les responsabilités soient redéployées, au delà de ce noyau dur, en tenant compte des réalités des bénévoles. 

Cette intervention a posé les bases d'une refondation, en autorisant les bénévoles à prendre en compte leurs contraintes. Elle a clarifié la transmission de ce projet associatif d'un noyau d'anciens vers une communauté de bénévoles. Le quatrième jour, l'assemblée définit les orientations suivantes : simplification du schéma de gouvernance, articulation des responsabilités du CA, des bénévoles et des salariées, ouverture d'une discussion sur la nature et le volume des activités. 

 

008

Quand l'utopie politique se confronte au principe de réalité

Le groupe qui fait appel à nous a pour projet un habitat collectif, un terrain agricole avec la construction d'habitats légers couplé à une activité professionnelle de maraichage. Il s'agit alors de démêler un imbroglio de relations affectives qui produisaient de fortes tensions. Tensions qui empêchaient, en partie, la prise de décisions : décisions extrêmement engageantes (apport financier individuel important, achat de terrain, engagement sur du très long terme,...). Les discussions collectives sont empruntes des rapports affectifs particuliers et parfois conflictuels que chacun entretient avec les autres, sans que cela ne puisse s'exprimer. Le projet politique, profondément collectif, se confronte aux besoins individuels, le curseur de chacun étant dans l'ombre pour les autres. 

Les trois jours d'analyse révéleront la réelle prégnance d'une vision politique commune et la manifestation pour chacun de son fort désir d'engagement dans le projet. L'utopie collectiviste sera confrontée à la réalité des relations entre les personnes ; un constat sera opéré : "dans les faits, on ne s'aime pas tou.te.s pareil et cela ne remet pas pour autant en cause la vision politique". C'est aussi l'idéal égalitariste qui sera déplié : l'inégalité des apports financiers, entre autres, a des conséquences très concrètes sur les actions et les réactions (distribution du pouvoir réel, difficulté d'engagement sur le long terme,...). 

Aujourd'hui, ce collectif est installé sur le terrain et l'activité de maraichage a débutée. Nous sommes ré-intervenus par deux fois : la première pour faciliter une prise de décision quant à la possibilité de salarier l'un d'entre eux, un travail sur l'éclairage des enjeux et des conséquences a été opéré. La seconde fois a permis au collectif de faire le point sur les évolutions opérées depuis notre première intervention, presque deux ans auparavant. C'est un temps où l'histoire se raconte, elle devient par-là collective; dans ces nouveaux projets alternatifs "habiter - produire - consommer", il y a encore peu de références communes, de modèles auxquelles se raccrocher : "on navigue à vue". 

 

009

Quand un dispositif sur mesure est négocié pour relégitimer la place de chacun dans un lieu d’accueil de personnes handicapées

Nous sommes appelés par la directrice générale, Anne, d'une association qui s'occupe de personnes handicapées. L'association compte trois sites distincts. Sur un des sites, la directrice générale est confrontée à des demandes venant directement des travailleurs qui outre-passent la directrice de leur maison, Sylvie. Anne souhaite que les demandes des travailleurs soient rencontrées mais veut aussi que l'autorité de Sylvie soit respectée.

Intervenant dans un secteur où l'activité ne peut être totalement suspendue : le dispositif sera négocié en trois temps. 

Temps 1 : une soirée en assemblée rassemblant toute l'équipe. 

Temps 2 : les intervenants vivront sur place durant trois jours consécutifs en rencontrant toutes les personnes de la maison de manière plus individuelle, une assemblée quotidienne de 2 heures est organisée au moment du passage de l'équipe du matin à l'équipe de l'après-midi. L'équipe sur place restant une heure de plus, l'équipe suivante arrivant une heure plus tôt. 

Temps 3 : une journée en assemblée à l'extérieur du lieu, avec l'ensemble de l'équipe. L'activité minimale de la maison étant assurée par l'engagement de travailleurs extérieurs. 

L'analyse collective va aider à nommer et redéfinir les limites de différents champs. Tout d'abord les périmètres d'action de chacun seront éclaircis et renégociés : Sylvie sera relégitimée dans son rôle, elle obtiendra le soutien des travailleurs et ces deniers, sur certains aspects, auront une plus grande autonomie de décision. Ensuite un éclairage sera opéré sur l'aspect affectif et émotionnel des relations, le travail d'accompagnement en étant nécessairementimprégné. Dans ce cadre, c'est une analyse des différentes responsabilités qui sera mise à jour, tout d'abord celles qui concernent directement les bénéficiaires mais aussi pour chacun des échelons hiérarchiques. Enfin, l'équipe fera la distinction entre ce qui touche au nécessaire respect des décisions prises par qui-de-droit, la liberté d'opinion que chacun.e peut avoir dessus et le sens des décisions au regard du projet politico-philosophique du lieu et du travail d'accompagnement.  

010

Quand l'éclairage des zones de pouvoir dans une association d’accompagnement familial amènera de nouvelles actions

ou intervenir dans une crise très vive et accepter de s'en aller

Nous sommes appelé par un service de première ligne qui aide et accompagne les jeunes et leur famille, dans leur environnement habituel de vie, dans la résolution d'une multitude de difficultés. Bien que le travail soit fait avec leplus grand soin, que les projets se déroulent, le climat de l'équipe se détériore de plus en plus rapidement. Un travailleur en particulier, Pierre, semble être central dans cette ambiance délétère. La direction de la structure est normalement assurée par deux personnes, à la suite du départ de l'une d'entre elle, la seconde a pris tout en charge.Être au courant de tout, être partout, tout le temps, a mis sa santé en danger et elle s'est retrouvée hospitalisée. C'est à la suite de cela que nous intervenons. Entre temps, c'est un travailleur de l'équipe qui a été engagé pour devenir le promu à la fonction de second directeur, Pierre a démissionné et il y a trois nouvelles personnes dans l'équipe. Il y a toujours eu un certain turn-over dans l'association mais celui-ci semble s'accélérer. Entre le moment où nous recevons la commande et le moment où nous intervenons, une série d'événements se sont donc produits, la crise est très vive. 

L'analyse collective permettra d'éclairer les zones de compétences réelles et les prérogatives fonctionnelles de chacun, les zones de concentration du pouvoir, les interprétations multiples et très antagonistes des situations, les difficultés, l'inégalité et la multiplicité des canaux dans la circulation de l'information. Suite à cette exploration, l'équipe se mettra d'accord sur la nécessité de la direction à assumer pleinement son rôle tout en déléguant et de réactiver une série de procédures qui étaient en sommeil et qui ont pourtant fonctionné par le passé, des dires des plus vieux travailleurs.  

Selon nous, intervenants, l'analyse aurait du se poursuivre. En effet, les points très chauds de la crise ont pu être collectivement analysés mais il nous semble qu'il aurait été nécessaire de continuer à interroger des aspects plus structurels de l'association (comme l'accélération du turn-over). Bien que le conseil d'administration trouve pertinent le fait de continuer, il s'est rattaché à l'avis de l'équipe qui a décidé de digérer et tester la mise en œuvre d'actions découlant de l'analyse faite jusque là.

011

Quand l'analyse d'un litige de voisinage permet de sortir du silence et de la défiance les habitants d'un hameau

Nous sommes appelés pour une intervention dans un hameau, regroupant une vingtaine de maisons, où les relations sont abîmées depuis longtemps entre plusieurs personnes. Avec le confinement, la situation est devenue invivable : l'intervention doit avoir lieu dès que possible. La raison de notre présence nous est présentée comme un conflit bipartite opposant d'un côté cinq membres d'une indivision immobilière, et de l'autre, un couple.

L'objet du conflit bipartite est le statut du terrain central du hameau, propriété privée du couple selon le cadastre, et dont des membres de l'indivision revendiquent la collectivisation. Le premier jour, l'assemblée qui nous accueille est composée de ces deux parties prenantes. Le lendemain, d'autres habitants du hameau sont invités. Leurs apports permettent de prendre de la distance, de mettre à jour les dynamiques de conflits antérieurs : le conflit autour du terrain central apparait alors comme une occurrence parmi d'autres d'un phénomène récurrent d'exclusion ou de mise en retrait, selon le point de vue.

L'installation dans le hameau a été initiée par le désir d'une personne de regrouper plusieurs familles sur un projet écologique, de partage de communs et d'ouverture vers l'extérieur, concrètement : assainissement, potager, accueil, évènements culturels. Au fil des mois ou des années, pour différentes raisons, plusieurs habitants se sont éloignés de ce projet, chaque fois heurtés par les manières de "faire collectif" du groupe de l'indivision, parfois happés par la vie familiale (enfants en bas age) ou concentrés sur le développement de leur activité professionnelle, ...

Les réunions de l'ensemble des habitants du hameau ont fini par se confondre avec les réunions des membres de l'indivision, les plus investis dans la dimension collective du hameau, et aussi les propriétaires des terres agricoles de ce hameau. Ils et elles deviennent dépositaires de l'ambition initiale du projet, accumulent des rancœurs à donner sans recevoir en retour, et cultivent une forme de mépris envers ceux de leurs voisins qui auraient abandonnés l'idéal pour un repli sur le modèle de la famille traditionnelle.

Face à la grandeur du projet initial, le sentiment d'échec se cristallise sur le terrain central, porteur de la dimension symbolique de place du village. C'est dans ce contexte de manque de confiance, de croyances des uns sur les autres, que le conflit autour du terrain central s'est envenimé. Les désaccords et les rancœurs sont aggravés par des menaces, des violences verbales ou écrites, de longs silences punitifs. Avec le confinement, il devient invivable d'avoir des voisins avec qui on n'échange plus un mot, à peine quelques regards chargés d'animosité.

Aux yeux de tous, il apparaît que l'origine de ces dynamiques de conflits est interne au groupe propriétaire de l'indivision : le débordement des dysfonctionnements internes de ce groupe moteur du hameau exclue de la vie collective les autres habitants du hameau. L'unité de l'indivision est fragile, au delà de la cohésion idéologique et affective, elle tient sur la nécessité de faire face ensemble à la précarité. Dans cette promiscuité-intimité, chacun s'octroie des espaces de fuite.

Les membres de l'indivision attendaient de nous un arbitrage en leur faveur sur les usages du terrain, notre intervention aura permis une prise de conscience de leurs dynamiques internes. Si cette intervention a été utilisée par l'assemblée comme un espace de négociation là où la communication était totalement rompue, elle a surtout permis de ré-ouvrir la possibilité du dialogue entre les habitants du hameau et les membres de l'indivision, au sens propre du terme, c'est-à-dire sortir du silence installé parfois depuis plusieurs années entre certaines personnes. Cette intervention s'est terminée sur une fête, ce qui était impensable la veille encore.

012

Quand un lieu de vie analyse la tension entre son mythe fondateur et ses dispositifs de financement pour se libérer des deux

La directrice d'une structure d'accueil de publics dits fragilisés fait appel à des socianalystes pour élucider des difficultés que l'équipe n'arrive pas à s'expliquer, provoquant épuisement professionnel et turn-over, perte de sens et tensions interpersonnelles depuis plusieurs mois. Elle connait la socianalyse par l'intermédiaire d'un lieu de vie du même réseau associatif qui y a eu recours quelques mois auparavant.

Une première session de trois jours permet de mettre à jour plusieurs causes à ces difficultés :

  • le projet d'accueil inconditionnel s'est plié au fil du temps aux différents dispositifs d'accueil de publics fragiles, et à leurs contraintes,

  • si les nouveaux salariés logent sur place, conformément à l'idéal, ce n'est plus le cas des anciens salariés, produisant des effets de privilèges et de passe-droit.

  • le surtravail de certains permanents les rend, dans la culture de cette structure, incritiquables,

  • le mythe fondateur - faire famille - incite à une implication professionnelle sans limites : ce qui est appelé "avoir compris le projet".

La fin de cette première session est dramatique : le mythe fondateur, structurant l'organisation, tombe au milieu de l'assemblée, laissant un grand vide de sens et créant et un sentiment de panique. L'assemblée décide de se réunir pour une deuxième session quelques mois plus tard et nomme une commission pour la mettre en place.

Le confinement du printemps 2020 est passé par là quand nous nous retrouvons pour cette deuxième session, d'une durée de quatre jours. Le confinement a interrompu les chantiers d'insertion professionnelle, cet arrêt révèle le poids de ce pan de l'activité, qui structurait les journées pour l'ensemble de la structure. Pendant le confinement, la nécessité d'entendre les besoins d'intimité s'est imposée, elle est passée dans la pratique avec un relâchement sur l'obligation de "faire famille". Le mythe fondateur est maintenant ressenti comme paternaliste, et a perdu son attrait radical et magique.

Cette deuxième session, grâce au travail fait pendant la première session et aux effets du confinement, a permis de faire émerger un nouveau rapport au projet associatif. C'est maintenant la libre adhésion qui gouverne la participation de chacun aux temps collectifs : cela redonne de la liberté et du pouvoir aux volontaires et aux services civiques maintenant membres à part entière de l'équipe. Une vigilance collective est décrétée face à la sur-implication professionnelle. C'est un renversement total dans le rapport moral au travail et à l'engagement dans cette structure. Le droit à une vie privée en dehors du travail s'impose, ce qui n'était jusqu'ici peu légitime puisque "faire famille" n'est pas un travail quantifiable avec des horaires fixes.

Au niveau des publics, l'accent est aussi mis sur la libre adhésion, l'obligation est levée de prendre les repas ensemble, d'accepter toutes les demandes de coup de main, ou de participer aux activités collectives. L'accueil inconditionnel n'est plus porteur de sens; car il est maintenant perçu comme incompatible avec l'adhésion libre au projet. La structure a posé des restrictions à sa capacité à accueillir tous les profils auprès de l'Aide Sociale à l'Enfance et mène une réflexion sur l'arrêt des chantiers d'insertion,et la mise en place d'actions hors dispositifs de financement, ouvertes à toutes et tous sans obligation de présence, et donc en libre adhésion.

013

Quand un habitat groupé s'autorise à ne plus faire collectif pour retrouver de la fluidité

Un collectif de propriétaires fait appel à des socianalystes devant des blocages relationnels et une crise de confiance. C'est un lieu-dit où deux terrains mitoyens ont été achetés simultanément, chacun par un groupe de quatre personnes ; ces dernières s'étant rassemblées précisément pour cet achat. Sur un terrain, une maison habitable, sur l'autre, des habitats légers et un bâtiment décati. Le terrain et la maison accueillent des locataires pour des périodes plus ou moins longues, parfois en dépannage. Les habitants font face à une crise de confiance assez importante, et n'arrivent plus à communiquer tous ensemble. Certain.e.s ne se parlent plus du tout depuis quelques mois.

Le déclencheur de la crise actuelle fait suite à une décision prise dans l’urgence sur leur protocole de confinement : une locataire s'est vue empêchée d'accueillir son compagnon, et ce couple envisageait des allers-venues entre leurs domiciles respectifs, éloignés de quelques kilomètres. La situation sanitaire est un prétexte : une habitante ne supporte pas la présence dudit compagnon depuis un certain nombre d'années déjà. Tous se conforment à la décision de cette exclusion temporaire, même si certains la trouvent injuste. Pour ces derniers, cet évènement révèle des désaccords sur le terrain des valeurs, une attaque de la liberté individuelle, l'ingérence dans l'intimité d'un couple. La communication est rompue, ce qui amène le collectif à s'accorder sur l'intervention d'un tiers.

Ce collectif d'acheteurs est aussi constitué d'entités plus petites : quatre couples. L'un s'est séparé entre la signature de l'achat et l'installation sur le terrain, un autre est jugé en souffrance. Certains n'avaient que peu de contacts avant l’achat du lieu, il y a quelques années. Pendant l'intervention, une évidence s'impose : au delà d'un titre de propriété, certaines personnes ne partagent que très peu d’affinités ce qui rentre en confrontation avec la promesse de faire collectif, de mettre sur pied un projet à huit. Face au délitement du collectif, certain.e.s se sentent isolé.e.s et une question les traverse : partir ou rester ?

Il n'y a plus eu de concertations à huit depuis des mois, et face à la désorganisation collective, dans laquelle chacun attend que les autres se positionnent, certains avancent, sans concertation, ce qui crée des crispations parce qu’elles ont des impacts directs sur l’organisation de l’ensemble des habitants. La source de légitimité à décider est l'investissement financier sur le foncier, la légitimité exclusive des acheteurs, y compris celui qui n'habite pas sur place. L'analyse dévoile l'absence de pouvoir des locataires.

Si certains espaces sont ouvertes aux huit personnes, les investissements sont supportés par le groupe propriétaire du terrain concerné. Après un lourd investissement de départ, un groupe finance ainsi un potager et un parking. L'autre groupe s'est engagé à financer la rénovation du bâtiment décati, leur part de départ étant moins importante. Ce bâtiment est situé entre les deux terrains, il destiné à des activités publiques et il cristallise les ambitions collectives. Pour l'instant, il menace de s'effondrer.

Le dossier de permis de construire doit être complété au plus tard le lendemain de l'intervention, à défaut, la procédure en cours sera annulée. Le groupe devant financer seul cette rénovation y renonce pendant l'intervention. Cette décision est symbolisé par l'abandon du dépôt du dossier de permis de construire. Le collectif décide de se lancer dans un chantier de consolidation, pour empêcher l'effondrement du bâtiment. L'intervention permettra finalement de constater qu'un projet commun est complexe à mettre en place et par-là, à s'autoriser à ne plus faire collectif à huit, de laisser exister deux entités aux modes de fonctionnement différent, de veiller à la place des locataires dans les décisions qui les impactent et de retrouver une forme de fluidité au quotidien.

014

Quand les permanents et les Benevoles font table rase pour partager leurs responsabilités

Un hameau isolé dans la montagne accueille des mineur.e.s placé.e.s par l'A.S.E., des chantiers d'insertion et des chantiers de volontaires. Les permanents vivent sur place, certains sont salariés, d'autres volontaires. Tous sont là pour des durées limitées à un ou deux ans. Le point de départ : l'épuisement des permanents, plutôt jeunes, et un turn-over important. Les permanents manifestent une perte d'énergie et de sens. Les bénévoles membres du CA, plus âgés, ne savent pas comment s'y prendre pour que la structure perdure : l'idéal autogestionnaire de la génération fondatrice ne porteraient plus les jeunes permanents, qui seraient dans l'action concrète à petite échelle plutôt que dans la poursuite d'un idéal.

La plupart des anciens défendent le modèle initial demandant une polyvalence et une disponibilité totale. La plupart des permanents se sentent assignés à représenter un modèle bienveillant plutôt que conflictuel, une vision professionnelle plutôt que militante, la protection de la vie privée plutôt que l'engagement dans le projet. Beaucoup de bénévoles ont joué un rôle important, bien malgré eux, dans la dépossession, au sein de l’équipe de permanents, de la maîtrise de leur travail. Il y avait « ceux qui font » sans voix au chapitre comme dans une entreprise qui aurait un atelier d’une part, et des ingénieurs en chef d’autre part, "ceux qui pensent". L'analyse révélera aussi le poids des facteurs externes : depuis sa création, ce hameau a bien grandi, les publics ont changé (notamment l'accueil de publics difficiles), et les modes de financement aussi (par dispositifs publics et fonds privés). Le modèle fondateur n'est plus adapté à la complexité actuelle du projet. Le turn-over qui était naturel (volontariat, objection de conscience) est devenu problématique.

L'organisation a oeuvré à faire tenir tous ces enjeux ensemble, en mettant en place des instances mixtes, des commissions, des groupes de travail, etc. Au fil du temps, l'organisation est devenue d'une complexité démesurée. Un système de gouvernance « partagée » a fait écran entre ceux qui assurent 24h/24 la responsabilité des jeunes, et une large couronne mouvante de penseurs, parfois ex permanents, ou futurs permanents, militants, cherchant à exister dans et par l’association, la dynamique générale donnant à l’investissement dans le fonctionnement des commissions plus de poids qu’à l’investissement dans le quotidien du village. Les instances sont désertées par les permanents, qui y voient une charge de travail supplémentaire. Du fait de leur absence, les bénévoles ne trouvent plus de sens à y être, ces instances étant privées de la capacité à agir sur la vie de la structure, représentée par les permanents. La vie associative se délite et s'étiole, comme paralysée de l'intérieur.

Les intervenants proposent à l'assemblée de définir les instances minimales à la gestion de l'activité, en prenant pour contrainte que ceux qui décident soient ceux qui fassent. Cet exercice va dessiner les modes de gouvernance à venir, permettant de redonner du mouvement et de la fluidité dans l'organisation. Les anciens sont mis face à une obligation d'agir pour que leur vision soit prise en compte, et les permanents face à l'obligation de lâcher du pouvoir et laisser une place aux bénévoles.

Cette nouvelle configuration va permettre l'engagement de bénévoles qu'on entendait moins, moins motivé par le mythe fondateur que par une grande envie de contribuer. D'autres vont s'autoriser à mettre un terme à leur engagement de très longue date. Du côté des permanents, ceux qui sont usés peuvent partir, mais ont, suite à cette intervention, retrouvé le désir de construire une organisation capable d'accueillir les suivants, adaptée à la réalité actuelle de la structure, et reconnaissant donc, pour les permanents, la nécessité d'un temps personnel, et de compétences spécifiques liés à leur poste.

015

Quand une ferme urbaine exclue un bénévole pour renouer avec ses ambitions fondatrices

Depuis quelques années, une association a créé et s'occupe d'une ferme urbaine suite à un appel à projet. Elle gère une parcelle agricole de quelques hectares mise à disposition par la commune, une grande métropole, et s'est donnée une double ambition :

  • distribuer des paniers de légumes à des prix accessibles aux habitants du quartier populaire voisin.

  • produire ces légumes collectivement et “autrement”, en permettant à des publics n'ayant pas accès à la terre de pouvoir découvrir et s'essayer au maraîchage ou à d'autres productions agricoles.

Selon les membres de l'association, la production nécessite un encadrement professionnel, nécessitant des compétences de maraîchage et d'animation, réalisé jusqu'ici par deux personnes travaillant bénévolement. L'un des deux encadrants est le fondateur du projet. L'autre est un maraîcher expérimenté.

Lorsque l'on nous appelle, un recrutement est en cours pour un poste d'encadrement à plein-temps. La date limite de dépôt des candidatures internes a été repoussée puis annulée, en attendant l'intervention d'un tiers : le maraîcher a postulé à cette embauche, soutenu par une partie de l'association, tandis qu'une autre partie de l'association souhaite l'exclure du projet associatif.

Nous sommes appelés par le fondateur pour résoudre ce conflit, explorer les failles et les zones de flou dans la gouvernance qui ont conduit à l'imbroglio actuel et retrouver une cohésion dans la double ambition de ce projet. Une douzaine de personnes se réuniront sur le site en notre présence.

L'intervention a éclairé comment le comportement du maraicher et ses prises de position ont eu comme effet de révéler et d'insister sur les failles, les oppositions, les antagonismes entre ces deux ambitions : il défend une qualité et un volume de production qui s’accommode mal d'un investissement bénévole intermittent ou basé sur le plaisir et le bien-être sur le terrain.

Parmi les personnes présentes pendant notre intervention, plusieurs l'accusent de comportement sexiste et raciste, et pointent son incompétence pour l'accueil du public dit fragile. D'autres le soutiennent : les stagiaires et service civique défendent ses compétences, y compris pour l'accueil et l'encadrement. Le choix sera fait par l'assemblée présente de son exclusion de l'association, et ce choix est motivé par le dépassement d'un point de non-retour : auprès de plusieurs personnes, la confiance est rompue.

Pour autant, cette décision n'entérine pas l'opposition entre ces deux ambitions, bien au contraire. L'analyse produite par l'assemblée pendant cette intervention a permis de dépasser le clivage entre ces deux ambitions pour en voir un autre, divisant autrement les personnes présentes : le camp des personnes qui pensent qu'une des ambitions doit soumettre l'autre, et donc qu'il faut choisir, et le camp des personnes qui pensent qu'il s'agit de les articuler.

Le départ du maraicher bénévole ré-ouvre la possibilité d'une articulation de ces 2 visions, intention structurant le projet initial, mais freinée au départ par l'absence de forces vives et gelée par le conflit ensuite. Le projet s'en retrouve ainsi clarifié. Mais cette bascule nécessite une transmission de cette analyse auprès des bénévoles non-présents à l'intervention, qui pourraient quitter le projet suite à l'exclusion du maraicher.

Deux vigilances sont soulignées :

  • que l'exclusion ne soit pas réduite à la victoire de quelques féministes radicales sur un homme qui a pris beaucoup de place et beaucoup de responsabilités.

  • que cette exclusion ne soit pas perçue comme la victoire du social sur l'économique, c'est-à-dire un renoncement à une production de qualité avec un volume signifiant

A l'issue de cette intervention, le conseil d'administration demeure en sous-effectif, le projet associatif tient jusqu'alors sur le surtravail de quelques personnes, et l'association nécessite toujours une coordination, estimée à un mi-temps, que le fondateur ne souhaite plus faire. Mais l'association a retrouvé la capacité à travailler son projet et inventer chemin faisant son histoire, et l'espère-t-elle, donner envie à de nouvelles personnes de la rejoindre.

016

Quand l'aveu des peurs individuelles permet de dépasser l'inertie dans un collectif d'achat immobilier

Un groupe a décidé d'acquérir ensemble un lieu de vie à la campagne pour y développer des activités professionnelles et des activités ouvertes sur le voisinage. A l'origine de ce groupe, un couple a mobilisé dans son entourage des artistes et des militants proches de la collapsologie.

Depuis la fondation du groupe, beaucoup de temps et d'énergie ont été consacrés à se définir collectivement. Le collectif décide de faire appel à un tiers car les années passent et la perspective d'un achat collectif a laissé la place au sentiment d'échec collectif.

Des contraintes à cette recherche d'un lieu, parfois contradictoires, sont posées : une région qui ne souffrira pas des dérèglements climatiques, un accueil de migrants, un terrain agricole, un territoire déshérité ou au contraire la proximité de communautés semblables... Plusieurs demandent à ce que les activités soient clarifiées, indépendamment du lieu envisagé. D'autres soutiennent que plus le lieu offre de possibilités et plus chacun y trouvera de quoi exprimer ses désirs et sa créativité.

Chaque lieu étudié révèle de nouveaux critères de sélection, autres que les critères objectifs définis explicitement comme la proximité d'une gare et d'une école. Le projet est redéfini à chaque fois en fonction du lieu envisagé, ce qui dérange ceux qui sont attachés à une cohérence idéologique. De manière symétrique, les discussions hors-sol épuisent ceux qui sont pressés d'avancer et partants pour définir en chemin les contours du projet.

La dimension politique du projet, qui se traduit par la volonté de transformation du territoire ou d'impact social, ne fait pas l'unanimité, ni son existence ni ses modalités précises. Le désir de s'installer dans un territoire déshérité est perçu par certains comme un projet colonialiste auquel ils refusent d'être associé. D'autres mettent la priorité sur un territoire accueillant où il ferait bon élever ses enfants, et sont perçus comme des bourgeois, auxquels certains refusent de s'associer.

Une partie de l'assemblée souhaiterait laisser le couple fondateur mener la barque. D'autres veulent contrer ces effets de leadership par l'usage d'outils d'intelligence collective et de gouvernance partagée. Les outils d'animation et le formalisme des décisions sont autant rejetés en bloc par une partie du groupe que défendus coûte que coûte par l'autre partie.

Au-delà de ces désaccords, l'intervention a aussi montré comment les renoncements successifs à des lieux imaginés ont abîmé le désir et la confiance nécessaire à un achat collectif, cet achat restant central dans les projections de vie des personnes restantes.

Le collectif a décidé de ne pas recourir à un prêt bancaire. Certains ont du capital, d'autres pas, certains ont des revenus d'autres pas. Si les membres du collectif se sont exposés mutuellement sur leur rapport à l'argent, le montage financier pour des prêts internes n'est pas encore défini.

L'intervention analyse les blocages construits avec le temps au sein de ce collectif. Cette analyse, en regardant frontalement le sentiment d'échec collectif et les désirs et urgences individuelles, a permis de clarifier le positionnement des uns et des autres, et notamment l'exigence de définir concrètement le montage financier et les contours du projet politique.

En s'avouant leurs peurs liées à la propriété collective, en explicitant les intentions et les usages des outils d'animation qu'ils souhaitent utiliser, l'intervention a permis à une partie de l'assemblée de reprendre sa recherche d'un lieu collectif.