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Quand un lieu de vie analyse la tension entre son mythe fondateur et ses dispositifs de financement pour se libérer des deux

La directrice d'une structure d'accueil de publics dits fragilisés fait appel à des socianalystes pour élucider des difficultés que l'équipe n'arrive pas à s'expliquer, provoquant épuisement professionnel et turn-over, perte de sens et tensions interpersonnelles depuis plusieurs mois. Elle connait la socianalyse par l'intermédiaire d'un lieu de vie du même réseau associatif qui y a eu recours quelques mois auparavant.

Une première session de trois jours permet de mettre à jour plusieurs causes à ces difficultés :

  • le projet d'accueil inconditionnel s'est plié au fil du temps aux différents dispositifs d'accueil de publics fragiles, et à leurs contraintes,

  • si les nouveaux salariés logent sur place, conformément à l'idéal, ce n'est plus le cas des anciens salariés, produisant des effets de privilèges et de passe-droit.

  • le surtravail de certains permanents les rend, dans la culture de cette structure, incritiquables,

  • le mythe fondateur - faire famille - incite à une implication professionnelle sans limites : ce qui est appelé "avoir compris le projet".

La fin de cette première session est dramatique : le mythe fondateur, structurant l'organisation, tombe au milieu de l'assemblée, laissant un grand vide de sens et créant et un sentiment de panique. L'assemblée décide de se réunir pour une deuxième session quelques mois plus tard et nomme une commission pour la mettre en place.

Le confinement du printemps 2020 est passé par là quand nous nous retrouvons pour cette deuxième session, d'une durée de quatre jours. Le confinement a interrompu les chantiers d'insertion professionnelle, cet arrêt révèle le poids de ce pan de l'activité, qui structurait les journées pour l'ensemble de la structure. Pendant le confinement, la nécessité d'entendre les besoins d'intimité s'est imposée, elle est passée dans la pratique avec un relâchement sur l'obligation de "faire famille". Le mythe fondateur est maintenant ressenti comme paternaliste, et a perdu son attrait radical et magique.

Cette deuxième session, grâce au travail fait pendant la première session et aux effets du confinement, a permis de faire émerger un nouveau rapport au projet associatif. C'est maintenant la libre adhésion qui gouverne la participation de chacun aux temps collectifs : cela redonne de la liberté et du pouvoir aux volontaires et aux services civiques maintenant membres à part entière de l'équipe. Une vigilance collective est décrétée face à la sur-implication professionnelle. C'est un renversement total dans le rapport moral au travail et à l'engagement dans cette structure. Le droit à une vie privée en dehors du travail s'impose, ce qui n'était jusqu'ici peu légitime puisque "faire famille" n'est pas un travail quantifiable avec des horaires fixes.

Au niveau des publics, l'accent est aussi mis sur la libre adhésion, l'obligation est levée de prendre les repas ensemble, d'accepter toutes les demandes de coup de main, ou de participer aux activités collectives. L'accueil inconditionnel n'est plus porteur de sens; car il est maintenant perçu comme incompatible avec l'adhésion libre au projet. La structure a posé des restrictions à sa capacité à accueillir tous les profils auprès de l'Aide Sociale à l'Enfance et mène une réflexion sur l'arrêt des chantiers d'insertion,et la mise en place d'actions hors dispositifs de financement, ouvertes à toutes et tous sans obligation de présence, et donc en libre adhésion.