015

Quand une ferme urbaine exclue un bénévole pour renouer avec ses ambitions fondatrices

Depuis quelques années, une association a créé et s'occupe d'une ferme urbaine suite à un appel à projet. Elle gère une parcelle agricole de quelques hectares mise à disposition par la commune, une grande métropole, et s'est donnée une double ambition :

  • distribuer des paniers de légumes à des prix accessibles aux habitants du quartier populaire voisin.

  • produire ces légumes collectivement et “autrement”, en permettant à des publics n'ayant pas accès à la terre de pouvoir découvrir et s'essayer au maraîchage ou à d'autres productions agricoles.

Selon les membres de l'association, la production nécessite un encadrement professionnel, nécessitant des compétences de maraîchage et d'animation, réalisé jusqu'ici par deux personnes travaillant bénévolement. L'un des deux encadrants est le fondateur du projet. L'autre est un maraîcher expérimenté.

Lorsque l'on nous appelle, un recrutement est en cours pour un poste d'encadrement à plein-temps. La date limite de dépôt des candidatures internes a été repoussée puis annulée, en attendant l'intervention d'un tiers : le maraîcher a postulé à cette embauche, soutenu par une partie de l'association, tandis qu'une autre partie de l'association souhaite l'exclure du projet associatif.

Nous sommes appelés par le fondateur pour résoudre ce conflit, explorer les failles et les zones de flou dans la gouvernance qui ont conduit à l'imbroglio actuel et retrouver une cohésion dans la double ambition de ce projet. Une douzaine de personnes se réuniront sur le site en notre présence.

L'intervention a éclairé comment le comportement du maraicher et ses prises de position ont eu comme effet de révéler et d'insister sur les failles, les oppositions, les antagonismes entre ces deux ambitions : il défend une qualité et un volume de production qui s’accommode mal d'un investissement bénévole intermittent ou basé sur le plaisir et le bien-être sur le terrain.

Parmi les personnes présentes pendant notre intervention, plusieurs l'accusent de comportement sexiste et raciste, et pointent son incompétence pour l'accueil du public dit fragile. D'autres le soutiennent : les stagiaires et service civique défendent ses compétences, y compris pour l'accueil et l'encadrement. Le choix sera fait par l'assemblée présente de son exclusion de l'association, et ce choix est motivé par le dépassement d'un point de non-retour : auprès de plusieurs personnes, la confiance est rompue.

Pour autant, cette décision n'entérine pas l'opposition entre ces deux ambitions, bien au contraire. L'analyse produite par l'assemblée pendant cette intervention a permis de dépasser le clivage entre ces deux ambitions pour en voir un autre, divisant autrement les personnes présentes : le camp des personnes qui pensent qu'une des ambitions doit soumettre l'autre, et donc qu'il faut choisir, et le camp des personnes qui pensent qu'il s'agit de les articuler.

Le départ du maraicher bénévole ré-ouvre la possibilité d'une articulation de ces 2 visions, intention structurant le projet initial, mais freinée au départ par l'absence de forces vives et gelée par le conflit ensuite. Le projet s'en retrouve ainsi clarifié. Mais cette bascule nécessite une transmission de cette analyse auprès des bénévoles non-présents à l'intervention, qui pourraient quitter le projet suite à l'exclusion du maraicher.

Deux vigilances sont soulignées :

  • que l'exclusion ne soit pas réduite à la victoire de quelques féministes radicales sur un homme qui a pris beaucoup de place et beaucoup de responsabilités.

  • que cette exclusion ne soit pas perçue comme la victoire du social sur l'économique, c'est-à-dire un renoncement à une production de qualité avec un volume signifiant

A l'issue de cette intervention, le conseil d'administration demeure en sous-effectif, le projet associatif tient jusqu'alors sur le surtravail de quelques personnes, et l'association nécessite toujours une coordination, estimée à un mi-temps, que le fondateur ne souhaite plus faire. Mais l'association a retrouvé la capacité à travailler son projet et inventer chemin faisant son histoire, et l'espère-t-elle, donner envie à de nouvelles personnes de la rejoindre.